L’Aviation
Il y a un siècle, naît en France la Ligue Nationale Aérienne, un groupe d’influence qui a joué un rôle fondamental dans le développement de l’aéronautique française. René Quinton en est le fondateur.
C’est se fourvoyer que de penser, qu’entre 1908 et 1914, l’industrie aéronautique s’est développée plus rapidement en France que dans le reste du monde, en raison d’un certain « génie ingénieux français ». Différentes causes et convergences techniques, financières et politiques expliquent ce phénomène.
La Ligue Nationale Aérienne a été, sans aucun doute, un agent fondamental du développement de l’industrie aéronautique en France. L’historien Patrick Facon a dit de la Ligue « Elle est devenue, sans aucun doute, un important groupe de pression dans cette France de l’avant grande guerre, elle s’appuyait sur tout type de relais d’opinion et sur ses propres services régionaux ».
Cette Ligue est dirigée par un personnage assez peu connu aujourd’hui mais dont personne, aussi bien dans l’industrie, l’armée, le parlement, les mairies que les ministères, n’ignore alors ni l’influence ni l’importance, et ce jusqu’à sa mort en 1925 ; il s’agit de René Quinton.
Le « docteur » René Quinton n’a jamais été médecin. Officier de réserve, il se destine à la littérature lorsque, avant la trentaine, il développe une théorie sur l’origine marine de la vie inspirée de ses lectures. Il la soumet au professeur Charles Richet, futur prix Nobel de médecine et sponsor de Louis Breguet, qui oriente son auteur vers le professeur Etienne Jules Marey, physiologiste, professeur au Collège de France. En janvier 1896, Marey, séduit par les idées de René Quinton, fait de lui son assistant personnel. À partir de ce moment, René Quinton dispose d’un laboratoire dans lequel il peut continuer ses recherches. Il découvre que les éléments qui composent l’eau de mer sont identiques à ceux qui composent le plasma sanguin. En 1904, il invente ainsi le Plasma de Quinton dont le succès est immédiat.
En 1908, les injections de ce « plasma marin » ont déjà sauvé suffisamment de vies en France et dans ses colonies, particulièrement dans les Dispensaires dirigés aux indigents, pour que son créateur soit un homme célèbre, admiré et respecté.
Cependant, Etienne Marey est également célèbre car il a inventé la chronophotographie, des photographies instantanées prises en rafale, qui décompose le mouvement animal et a fait découvrir au monde, en particulier, la complexité du battement d’ailes d’un oiseau. Marey est le précurseur aussi bien du cinéma que de l’aviation. Il essaie pour cela de déceler depuis longtemps les mystères du vol et il collabore avec d’autres chercheurs parmi lesquels se trouve Victor Tatin. Il semblerait qu’à leur contact René Quinton se laisse contaminer par le virus de l’aviation. Depuis le début du XXème siècle, il s’intéresse de très près et de manière assidue aux études du « Plus lourd que l’air » du Capitaine Ferdinand Feber. Fasciné comme beaucoup d’autres par la capacité des oiseaux à voler durant des heures sans battre des ailes, il rêve d’une machine qui permettrait aux hommes de faire la même chose, même s’il n’a ni la volonté ni les connaissances pour la réaliser lui-même. Pour cela, en juin 1908, il crée un prix de 10 000 Francs pour récompenser celui qui réussirait à « se soutenir dans l’air cinq minutes sans descendre de plus de 50 mètres ». Il en tire surtout des moqueries et des rires.
Cependant, René Quinton n’est pas un rêveur, comme le démontre cette explication qu’il doit donner un jour: « Avec l’aéroplane, tout change. Il ne craint en rien la résistance de l’air mais au contraire il la cherche pour s’y appuyer. L’air ce n’est pas ce que nous croyons, un fluide inconsistant car transparent, dans lequel nous pouvons uniquement rester accrochés quelques instants et par miracle. C’est tout le contraire, c’est un pilier très résistant qui permet de soutenir des corps très denses, mille fois plus denses qu’il ne l’est. En plus, il est actif, les vents qui le traversent sont des forces considérables. L’air est une admirable réserve de forces».
Un mouvement pour stimuler l’aviation française.
Le trois septembre 1908, alors que l’industrie aéronautique allemande connaît un succès populaire avec le développement des Zeppelins, René Quinton, aux côtés d’Ernest Archdeacon, qui plaide avec détermination depuis des années en faveur de l’aéroplane et qui préside une Commission de l’Aviation minoritaire appartenant à l’Aéro-Club français, Painlevé, ministre à plusieurs reprises et président du Conseil des ministres, les Commandants Ferber, Renard et quelques autres, fondent la Ligue Nationale Aérienne, « dans le but de regrouper des aides financières pour créer des concours et des prix auxquels il serait possible de participer en fonction des règles de l’Aéro-Club de France ». René Quinton dirige cette Ligue et en informe Louis Barthou, ministre des travaux publics, postes et télégraphes, le 18 novembre 1908. Le but est, à travers concours et prix, de stimuler et sponsoriser la recherche aéronautique et également de créer non seulement un groupe de pression puissant en sa faveur, mais de la mettre sur un véritable piédestal. Dès le début, la Ligue séduit un grand nombre de personnalités entre autres le très riche marchand de pétrole Henri Deutsch de La Meurthe, certains constructeurs français d’aéroplanes parmi lesquels se trouvent les plus célèbres d’entre eux : Henri Farman, Louis Blériot, de puissants industriels comme le Marquis de Dion, Édouard Michelin ou Lazare Weiller, des officiers supérieurs, des scientifiques de l’Académie, des chercheurs tels que Victor Tatin et des politiciens.
Selon René Quinton, la Ligue a pour objectif d’unifier en France l’ensemble du mouvement de l’aviation afin que « notre pays qui est la véritable patrie de la locomotion aérienne, ait la gloire de perfectionner cette grande découverte de la conquête aérienne, à laquelle les hommes rêvent depuis des années. La Ligue Nationale Aérienne demande à tous les français soucieux de l’intérêt et la gloire de leur pays qu’ils deviennent membres de cette dernière. La Ligue allemande rassemble un million d’associés. Elle a donné à l’Allemagne la moitié de sa flotte. Pour que tous puissent et souhaitent s’unir, la cotisation annuelle par membre est fixée à un niveau très bas : 5 francs. D’après les calculs les plus pessimistes, 50 000 membres à 5 francs représentent un budget annuel de 250 000 francs avec lesquels la Ligue créera des concours et des prix ».
Au comité exécutif de la Ligue, René Quinton a pris grand soin de ne nommer personne susceptible de travailler pour des intérêts particuliers. De plus, il organise cette association, de manière bien visible, avec un comité technique dont la tâche est de déterminer les axes sur lesquels il faut agir en premier, ainsi qu’une commission militaire dont le rôle est semblable mais beaucoup plus discret, afin de définir aussi bien une force armée aérienne que la doctrine pour l’utiliser, ce qui n’a rien d’évident à cette époque.
À partir de ce moment, René Quinton et la Ligue Nationale Aérienne deviennent les agents les plus efficaces de l’industrie aéronautique française en général. Au XXIème siècle, René Quinton serait considéré comme un publiciste ou un lobbyiste exemplaire. Le 15 octobre 1908, est publié le premier exemplaire de la Revue Aérienne, organe de la Ligue, dans laquelle Archdeacon signe un article intitulé : « Oui, nous volerons ». Les souscriptions arrivent par milliers en quelques semaines. Cependant « il ne suffisait pas d’encourager l’opinion publique, le point fondamental était de convaincre le pouvoir politique ». C’est de cette manière que l’a expliqué René Quinton quelques mois plus tard. La Ligue obtient dans les deux chambres du parlement des commissions aéronautiques qui apportent rapidement un premier budget de 100 000 francs et un autre de un million.
Aérodromes, Quinzaines de l’aviation, une École de pilotage…
René Quinton écrit à tous les directeurs de Collèges en leur demandant de cotiser au nom de leurs établissements ainsi qu’aux maires des grandes villes pour les encourager à la création d’aérodromes et à l’organisation de démonstrations aériennes. En même temps, il crée des succursales régionales très actives et recueille d’importantes donations auprès d’entreprises et de particuliers afin de créer des compétitions associées à leurs noms. La Ligue promeut ainsi directement la construction de Port Aviation, l’aérodrome connu comme celui de « Juvisy » au sud de Paris, celui de Pau dans lequel s’installent les Wright ainsi que les Quinzaines de l’aviation à Caen et à Rouen, entre autres. La Ligue coopère également aux célèbres « Grandes semaines de Champagne » en 1909 et 1910 et organise quelques grandes compétitions comme la Coupe Pommery, le Circuit de l’Est ou la course Paris-Le Caire.
Il crée également la première École de pilotage en 1908 dans l’espoir de former des instructeurs capables de partager leurs compétences. Le premier instructeur, plus enclin à la théorie qu’à la pratique est Ferdinand Ferber dont le premier aéroplane donne naissance un peu plus tard au biplan Voisin appelé Alsace, tout un symbole.
Il n’y a aucun doute que la multiplication des fêtes aériennes entre 1908 et 1913 est le résultat de l’action de René Quinton et que l’enthousiasme populaire pour les aviateurs est, au moins en partie, dû à l’implication de sa Ligue en faveur de la grandeur de la France.
Plus discrètement que dans les gradins des aérodromes, la Ligue se penche aussi sur beaucoup d’autres thèmes tels que le balisage possible par le biais d’affiches sur la terre ferme, la sécurité des aéroplanes et des pilotes, l’armement des avions (dès 1910), l’instruction de la jeunesse à travers de modèles réduits, etc. D’innombrables thèmes sont abordés parfois de manière ingénue, ainsi que de manière prématurée vu l’urgence.
Mais il manque à cette industrie des clients ou organismes pour l’orienter et la Ligue tente de jouer ce rôle. C’est bien plus qu’un club de réflexion. D’une certaine manière, elle tente de réaliser les tâches qui incomberont huit ans plus tard à une autorité administrative supérieure, le Ministère de l’Air.
Impossible d’éviter des maladresses et des échecs. La volonté de René Quinton et de sa Ligue se heurtent à la technique qui tarde à concrétiser tous leurs désirs, tous leurs rêves. Plus elle progresse, plus les difficultés croissent. La Ligue Nationale Aérienne ne peut rien faire face aux querelles entre les différents corps de l’armée ce qui attise la crise qui, à partir de 1911, s’abat sur une aviation française incapable de respecter des projets trop ambitieux et mal définis. Malgré cela, René Quinton reste, au sein d’un monde aéronautique perturbé, un point de référence incorruptible.
Retour à son premier amour, le vol sans moteur.
René Quinton n’a pas l’enthousiasme des adulateurs excessifs des aéroplanes et des pilotes qui exultent à chaque nouvelle prouesse. Il n’est pas très enthousiaste face aux nouveaux records constamment dépassés, il connaît parfaitement les faiblesses du matériel existant mais cependant il croit au progrès. Au cours de la Grande Semaine de Champagne, il prononce ces mots : « Ce sont les idées qui concourent, ce sont des idées qui vont lutter, pas des marques ». Il défend une cause, sans tenir compte des intérêts particuliers et cette règle résume sa propre morale.
Quand la guerre éclate en 1914, il a 46 ans. Bien qu’il n’ait aucune obligation militaire, il s’engage dans l’artillerie. « Officier intrépide comme il en existe peu ». Blessé sept fois et sept fois décoré. Il termine le conflit comme Colonel, glorieux mais affaibli, désirant n’avoir aucun enfant mâle pour que celui-ci n’ait pas à vivre l’enfer qu’il a connu.
L’aviation évolue. La Ligue se transforme en une organisation de promotion aéronautique. René Quinton revient alors à son premier amour : le vol sans moteur. Les archives familiales nous font découvrir qu’il lance le vol sans moteur en France avec le concours de Combegrasse, en 1922. Les exploits du Lieutenant Thoret, dans des vols en descente à Biskra (Algérie), avec un Henriot 14 (Le Fana de l´Aviation, nº 394), sont des initiatives de René Quinton ; il est aussi le premier à avoir encouragé le vol en montagne pour lequel Thoret fut le premier instructeur en France.
Ce que René Quinton a toujours cru possible, envers et contre tout, est devenu réalité. Son Prix, créé en 1908 et repris après la guerre, est enfin décerné.
René Quinton meurt prématurément à la suite d’une angine de poitrine en 1925, vêtu de son uniforme et auréolé d’une célébrité dont il est actuellement difficile d’imaginer l’ampleur. Quelques jours auparavant, il a une longue conversation concernant l’Aviation et la Défense avec quelques amis, parmi lesquels Édouard Michelin puis ensuite téléphone à ses amis pour leur faire son dernier adieu.